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Mobilités et choix résidentiels

Les trajets domicile-travail à l’ère hybride, nouvel enjeu de qualité de vie pour des salariés et des employeurs aujourd’hui à la croisée des chemins

23 février 2023

Pour résoudre le dilemme entre déplacements pendulaires et aspiration à un meilleur cadre de vie, le travail hybride pourrait devenir une solution de choix. Une souplesse que certains salariés n’hésitent déjà plus à mobiliser pour se départir des contraintes d’un itinéraire trop long ou éprouvant. De quoi peut-être dessiner de nouvelles trajectoires immobilières et redéfinir le lien spatial mais aussi social à l’employeur. Alors, quel rôle pour ce dernier dans l’accompagnement des projets de vie de ses salariés ? Quelle place pour les projets personnels des salariés dans la discussion d’entreprise ?

Retour sur les enseignements phares de notre dernière enquête thématique conduite par le Collectif Mobilité auprès de 1 400 actifs Franciliens.
 

En Ile-de-France, la mobilité des salariés se fait à plusieurs vitesses : A chaque mode de vie, des habitudes de déplacements… 

En ce début d’année 2023, pour beaucoup, se rendre au bureau est devenu plus compliqué. Côté budget, la fin de la remise à la pompe généralisée[1] et l’augmentation tarifaire du Pass Navigo[2], ont fait gonfler les dépenses liées aux déplacements… Côté trafic, la fin d’année 2022 avait laissé présager un risque de saturation du réseau, qui se confirme aujourd’hui et se double de temps de parcours souvent rallongés. Alors pour limiter leurs difficultés, des millions de migrateurs pendulaires, ont mis en place une mécanique bien rodée : consultation des alertes trafic, marge de temps supplémentaire, stratégie d’évitement des axes les plus fréquentés et des heures de pointe…. Que ce soit en voiture, en train, en RER ou en métro, chaque salarié a développé une routine domicile-travail propre à son expérience des transports.

En matière d’expérience, la réalité des trajets n’est d’ailleurs pas la même pour tous les salariés. En effet chacun se déplace au rythme de son organisation personnelle et de ses contraintes - de temps, de territoire, d’organisation familiale ou encore professionnelle. D’un côté, les modes doux[3], perçus comme plus agréables, flexibles, écologiques et surtout moins onéreux, sont le quotidien de 41% des Parisiens, 30% des jeunes, et 29% des cadres. De l’autre, la voiture, plus contraignante et polluante, mais aussi plus coûteuse, rythme les déplacements de 42% des habitants de grande couronne, 33% des employés et ouvriers, et 31% des familles nombreuses. Une différence qui semble pointer une fracture entre des urbains ultra connectés et des Grands-Franciliens plus éloignés des réseaux. Vécus comme un véritable confort par certains et plutôt comme un fardeau par d’autres, les trajets domicile-travail semblent donc traduire l’inégale desserte du territoire. En somme, le temps de transit entre domicile et travail, donne un indice sur la manière dont vivent les salariés. Ainsi, parmi les salariés qui mettent 15 à 30 min pour se rendre au travail, 77% résident en appartements au plus près des centres urbains. A la même distance, seuls 21% résident en maisons logements souvent plus éloignés des centres-villes. Une disparité qui se cristallise dans des habitudes auxquelles les usagers ne semblent par ailleurs pas pouvoir substituer d’itinéraire alternatif : en juin 2022, 9 usagers sur 10 déclaraient ne pas avoir modifié leurs habitudes de transport pour se rendre au bureau depuis le début de l’année.  Alors, entre cadre de vie agréable, environnement moins dense avec des espaces plus vastes et mobilités pendulaires facilitées par des trajets courts, mobilités douces... les salariés doivent-ils inévitablement choisir ?

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Le travail hybride, nouvel outil de qualité de vie susceptible de remplacer « métro, boulot, dodo » par « vélo, visio, rando » ?

Le travail hybride pourrait contribuer à résoudre en partie le dilemme posé aux salariés, entre cadre de vie choisi et mobilité contrainte. Il est aujourd’hui bien implanté dans les organisations post-Covid et plébiscité par les salariés, puisque 53% des Franciliens interrogés confirment le pratiquer. Un engouement que l’on peut justement associer à la quête d’une meilleure qualité de vie. C’est peut-être ce qui explique que les propriétaires, qui ont décidé de s’éloigner pour accéder à la propriété et disposer de plus d’espace, pratiquent davantage le travail hybride que la moyenne des Franciliens : ils sont 66% à télétravailler. A l’inverse, les locataires, plus souvent en appartements et disposant d’une organisation spatiale moins souple, témoignent d’une pratique du télétravail plus faible que la moyenne : ils ne sont que 34%. Entre souci du confort résidentiel et impératif des mobilités pendulaires, le mode de travail hybride semble donc jouer un rôle de médiateur qui assouplit la nécessité de la présence physique au bureau.

Une tendance qui commence à s’installer chez certains Franciliens. En effet, ils sont de plus en plus nombreux à s’essayer à une nouvelle pratique : le télétravail hors du domicile dans des points de chute ponctuels chez des amis, de la famille, ou encore sur un lieu de séjour. Un phénomène qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’habitude prise par certains Franciliens durant l’été 2022 de télétravailler depuis leur destination de vacances pour desserrer les contraintes d’organisation du séjour -dates, budget, etc... Loin d’être anecdotique, la pratique gagne du terrain et pénètre désormais le quotidien d’une part croissante des Franciliens : ¼ des personnes interrogées disent résider au moins 2 week-ends par mois en dehors de leur domicile principal. Et parmi ces Franciliens très mobiles, 66% en profitent pour télétravailler. Arrivée anticipée, prolongation de séjour, etc... autant de stratégies déployées pour joindre l’utile à l’agréable. Une nouvelle manière d’articuler travail et loisir qui porte même un nom : Bleisure, Workation ou encore tracance[4].

 

Des envies d’ailleurs chez les salariés qui se reflètent dans les attentes vis-à-vis des employeurs.

L’intégration du travail hybride dans le quotidien des salariés a profondément changé la relation à l’employeur. Plus soucieux de l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, les salariés ont fait de la période Covid un véritable laboratoire d’expérimentation. De façon contrainte et parfois frugale, ils ont réimaginé leurs façons de se déplacer, de travailler, et de vivre, et ont adressé aux employeurs des défis nouveaux en matière d’organisation du travail. Et s’il est aujourd’hui admis pour les salariés comme pour les employeurs, que le télétravail représente un outil de confort, pour les salariés il devient même un tremplin pour changer complètement de cadre de vie. C’est visiblement le choix que certains salariés ont fait : en juin 2022, 17% avaient déménagé sur les 6 premiers mois de l’année, et 24% envisageaient de le faire, dont presque 1 sur 2 hors d’Ile de France. Parmi leurs destinations, la région Grand Est, le Centre, ou encore le Nord. Une quête d’espaces et de verdure initiée pour des motifs personnels, avec en tête : le fait de devenir propriétaire, faire face à un événement familial (mariage, naissance, etc.), ou encore la perspective de vivre dans un environnement moins pollué. Quant au bénéfice attendu, pour 62% des sondés, il consiste principalement à gagner en confort d’habitation.

Mais quel est désormais le rôle de l’employeur dans la recherche d’une installation domestique de qualité par les salariés ? De la même manière que la prise en charge des trajets domicile-travail ou l’outillage du travail à distance, la mobilité résidentielle des salariés devient progressivement un ingrédient du dialogue social dans les entreprises. Les salariés enjoignent leurs employeurs à investir ce champ d’intervention nouveau pour les accompagner dans ces projets de vie, où cadre privé et cadre professionnel s’entre-mêlent. Ce d’autant plus que, pour les salariés hybrides, changement de lieu de vie ne signifie pas nécessairement changement d’emploi. Ainsi, durant les 6 premiers mois de l’année 2022, la moitié des déménagements hors Ile-de-France s’est opérée sans changement d’employeur. Et 1 projet de déménagement sur 4 a alors pu être facilité par les entreprises via le travail hybride. A l’avenir, d’autres solutions d’accompagnement pourraient être envisagées par les entreprises : prise en charge des frais de transports supplémentaires, empreinte immobilière plus dispersée sur le territoire national (antennes locales, accès aux tiers-lieux), mise à disposition d’une flotte de véhicules partagés, proposition d’un système de mobilité partagée, etc. Dorénavant, mobilité, nouveaux modes de travail et schémas résidentiels forment un triptyque dont les employeurs vont sans doute s’emparer davantage, à l’heure où ils cherchent à mieux engager leurs salariés. De quoi peut-être jeter les bases d’un nouveau contrat social et redessiner l’immobilier des entreprises demain.

[1] Au 1er janvier 2023, la remise à la pompe de 30 centimes par litre de carburant a été levée au profit d’une indemnité ciblée de 100 € en direction des automobilistes actifs les plus modestes, utilisant leur voiture pour se rendre au travail. Ils ont jusqu’à la fin du mois de mars pour faire la demande.

[2] Au 1er janvier 2023, le tarif du Pass Navigo est passé de 75,20 € à 84,10 €, soit une hausse de 11,8%. La dernière hausse tarifaire remontait à 2017.

[3] Mobilité douce : marche, vélo, trottinette.

[4] Contraction entre les mot « Business » et « Leisure », Bleisure, désigne le fait de profiter d’un déplacement loisir pour travailler depuis son lieu de séjour. Workation, contraction entre Work et Vacation désigne le fait de travailler pendant ses vacances. En français, la porosité entre et travail et vacances se traduit par la contraction « tracance ». Si ces termes commencent à émerger dans la littérature, il n’y a pas encore de consensus quant à leur définition exacte.

 

 

Source des données 

Etude du collectif mobilité Ile-de-France « Schémas immobiliers, mobilité et modes de travail des Franciliens » :
Enquête en ligne réalisée en juin 2022 auprès de 1 600 Franciliens dont 1 400 actifs, et coordonnée par l’entreprise Inov 360 pour le compte de quatre entreprises, dont JLL, du secteur du transport, de l’urbanisme, des énergies et de l’immobilier d’entreprise, membres du Collectif mobilité Ile-de-France.

Pour aller plus loin 

Etude du collectif mobilité Ile-de-France :

Etudes JLL :

Diana Nait-Belkacem

Consultante Senior Recherche et Prospective Work Dynamics